Premier Seuil: l’Exode
De tout temps, l’homme cherche le sens de sa vie, depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Sagesses et religions l’aident à adhérer à la réalité et à référer sa vie à sa source sacrée.
Mythes et liturgies le font entrer dans le grand rythme de la nature, qui est comme l’image de l’action divine. Le cosmos le situe à sa place, dans la paix du Temps des origines, que l’histoire vient hélas troubler.
Un tel monde d’évidences totalitaires favorise l’émergence de puissants, mais aussi de marginaux, d’esclaves ou de révoltés. C’est en rupture avec un tel contexte qu’un groupe de tribus s’est fédéré. Par révolte, fuite ou regroupement d’immigrants, Israël naissait dans le creuset d’une même expérience religieuse : un appel d’un Dieu inconnu maintenait sauve son existence, lui faisait découvrir son irréductibilité spirituelle. Ce compagnonnage nouveau lui faisait découvrir une religion où plus rien n’est prévu dans les astres, mais où tout est suspendu aux lèvres de partenaires libres : l’histoire devient le lieu où appels, orientations, ruptures, pardons, dévoilent le mystère d’un Dieu suspendu aux lèvres de l’homme, et la vocation d’un homme responsable dans l’urgence et la gravité des jours.
Deuxième seuil : L’Exil
L’expérience a donné aux croyants des repères: la Torah, d’abord vécue, est peu à peu écrite. Mais la vie et ses changements posent des questions nouvelles. Les dimensions du débat sont à présent internationales et la lecture des textes fondateurs révèle d’autres enjeux. La tentation est grande de s’appuyer sur ses propres forces et de jouer le jeu de tout le monde au lieu de se fier à son Dieu.
Les prophètes vont préparer le peuple aux événements dramatiques qui vont le disperser et remettre en question les fondements mêmes de son identité. Affrontés à nouveau au néant, Israël ne doit qu’à la prière, à la mémoire et à l’observance de la Torah, de pouvoir garder son âme.
Mais poussés au large de l’univers, les fidèles vont aussi apprendre l’unicité de leur créateur ct Sauveur, au-delà même des autres sacrés fabriqués qui réclament l’énergie des peuples. Dans le paradoxal silence de Dieu, ils apprennent à se tenir sous l’ombre d’un Mystère que seule l’adoration respectueuse et les mystiques pluralistes peuvent approcher. Leur témoignage face à l’idolâtrie des puissants va les exposer à la haine des peuples, mais ils maintiendront ferme leur profession de foi parfois même jusqu’au martyre. Dans la détresse, les prophètes vont les guider: les chemins de la prière les mèneront jusqu’au sacrifice, jusqu’à l’attente du Jour de Dieu, jusqu’au combat pour la foi, jusqu’à l’intuition de la Résurrection … , autant de voies diverses frayées dans la brousse du Mystère vers la Gloire révélée au Sinaï à Moïse.
La vie du peuple en inventorie sans cesse la fécondité, aidée par les sages et unifiée par son Sanhédrin. C’est dans cette chair vive de la foi que Jésus est né et qu’il a appris à nommer Dieu « mon Père».
Troisième Seuil: Jésus
C’est sans doute l’étape la plus originale de la démarche: elle replace la silhouette de Jésus dans son contexte juif. Confrontant la prédication de Jésus avec le débat religieux interne au judaïsme et les relectures chrétiennes des événements après Pâques, elle permet de voir apparaître l’originalité du message de celui qui « ré-ouvrait la prophétie» et témoignait d’un Dieu Père, rempli d’amour et de miséricorde pour son peuple y compris pour les pécheurs.
Perçu d’abord sous les traits d’Elie, et bientôt de Moïse lui-même, Jésus donnait à sa prédication une profondeur et une radicalité qui bouleversa les données du judaïsme d’alors : il installa un débat qui inquiéta les autorités du Sanhédrin. Oui ou non, Dieu venait-Il faire du neuf et recréer notre humanité en lui redonnant sa beauté originelle, et cela dans la pauvreté du quotidien et malgré même les situations brisées où elle était encore emprisonnée ? La relation intime du Maître avec Celui qu’il appelait son Père, l’humilité et l’autorité de son témoignage ont peu à peu fait deviner à ses disciples la dimension divine qui l’habitait.
La fracture que Jésus installait dans l’équilibre subtil du Judaïsme ne fut pas supportable : le Sanhédrin décida sa perte. Sa mort était-elle échec ou dernier témoignage de pardon et d’abandon ? Seuls les événements de Pâques allaient le révéler, même si les disciples avaient déjà de quoi interpréter la mort du Maître comme l’ultime geste prophétique où Dieu se disait.
C’est la tradition chrétienne qui, dans des contextes culturels divers, va inventorier la richesse de Jésus-Christ, surtout après le drame de sa mort, et le bouleversement opéré par sa Résurrection. Poussé par son Esprit, les chrétiens découvraient les dimensions divines de cet événement en même temps que la nouveauté radicale installée grâce à lui dans notre humanité. Comment garder toute la richesse du Mémorial en l’adaptant aux nouvelles mentalités qui y adhéraient ? Ce fut l’œuvre du développement christologique et des grands conciles de Nicée, Ephèse et Chalcédoine, qui demeurent aujourd’hui encore d’une grande actualité catéchétique.
Quatrième Seuil : l’Église
Au lendemain de la mort de Jésus, les disciples se retrouvent, enfermés dans la crainte. Mais la braise de la foi brûle encore sous la cendre de la tristesse. On se souvient de sa prédication, de ses gestes prophétiques, de son annonce de la Résurrection …
Des femmes racontent l’avoir vu vivant, et les signes souvenirs se remplissent soudain d’une présence: Jésus apparaît à ses disciples, leur redonne assurance, leur ré-ouvre les Écritures, les remet debout dans la foi en leur transmettant son souffle. Le tombeau n’est plus un lieu de nostalgie : il devient le lieu ouvert sur l’au-delà de Dieu, où s’engouffre l’Esprit créateur. Les apôtres de Jésus continuent sa prédication. Grâce au génie et à la foi de Paul, ils entrent peu à peu dans l’intelligence de la plénitude du Christ se révélant, à présent, sauveur et re-créateur de l’humanité entière.
Ainsi l’Église, corps du Christ, son réseau de signes et de visages pour le monde, découvre avec l’aide de l’Esprit-Saint, la profondeur du Mystère divin: le dessein d’amour, conçu avant les siècles et que l’orgueil a mis en péril dès que Dieu s’est livré à notre liberté. Elle confesse le Dieu Unique en sa nature et Trine en ses personnes, qui nous ordonne à Lui, malgré notre péché, et court ainsi le risque du Sacrifice.